La responsabilité des intermédiaires techniques lors des compétitions esport, une responsabilité partagée

Les francophones auraient pu être beaucoup plus présents lors des finales des Heats des FNCS début mars 2021. Au final, seulement 12 équipes francophones se sont qualifiées pour les phases finales, alors que beaucoup plus de joueurs se plaçaient parmi les meilleurs. La raison ? Des problèmes techniques ayant touché la deuxième série de qualifications. En effet, une quinzaine de joueurs ont subi des déconnexions ou ont été empêché de rejoindre les parties étant de facto disqualifiés.

Le problème venait d’une panne technique entre les serveurs d’Epic Games et l’opérateur internet Orange, mettant en péril l’intégrité de la compétition. Toutefois, l’éditeur n’a pas souhaité recommencer la série une fois le problème réglé, faisant naître de nombreuses critiques à son égard. En effet, l’éditeur s’est justifié que ces problèmes techniques étaient causés par des soucis au niveau des fournisseurs d’accès à Internet (à savoir Orange) et que « la reprogrammation des matches en cours et du tournoi aurait eu de graves conséquences pour toutes les autres équipes ». Pourquoi Epic Games a alors refusé de faire un remake sur cette série ? Qui pourrait être tenu pour responsables ?

Rappelons tout d’abord que l’intégrité d’une compétition est un des piliers fondamentaux de l’esport (et de manière générale de toute autre compétition). L’organisateur de la compétition doit donc garantir l’intégrité de cette dernière en usant de tous les moyens possibles pour éviter la moindre altération à cette intégrité. Il a donc, en ce sens, une obligation de moyens. En l’espèce, l’organisateur de la compétition ici est Epic Games, éditeur du jeu. L’éditeur a donc érigé ses propres règles dans un règlement de tournoi mis à la disposition de tous, décidant lui-même de ce qui était acceptable de ce qui ne l’était pas, étant donné qu’il s’agit de son jeu. Le règlement des Heats des FNCS dispose d’ailleurs d’un article 5.2 plutôt flou puisqu’il est dit que « en raison de l’ampleur des compétitions en ligne et sauf décision contraire de la part d’Epic Games, les matchs ne seront par recommencés ou annulés en raison de bugs, de déconnexions intentionnelles ou non ou de pannes de serveur ». Cette clause pour le moins très discrétionnaire, est très large. Elle pourrait potentiellement être taxée d’abusive en droit français en ce sens qu’elle crée au détriment d’une personne un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Toutefois, cette définition des clauses abusives ne vaut qu’entre consommateur et professionnel et en l’espèce, il s’agissait d’une compétition dite « professionnelle ». La question de l’application de cette règle se pose donc.

Dans ce cas, qui pourrait bien être responsable d’un tel dysfonctionnement ? Techniquement, le problème technique était entre les serveurs d’Epic Games et d’Orange, le fournisseur d’accès à internet, comme nous l’avons dit plus haut. Dans ce cas, il faut dans un premier temps identifier le type de dysfonctionnement et les responsables de la panne. Plusieurs causes peuvent être rapidement identifiées : interruption de la connexion en cas d’encombrement ou de panne de réseau, virus informatique, piratage, bug informatique tout simplement et dans ce cas, le dommage est causé à l’échelle du réseau, de manière plus large que la panne propre aux logiciels du jeu vidéo en tant que tel et une panne bien différente de celle affectant des périphériques informatiques par exemple. Dans ces trois cas, les responsables des pannes sont des interlocuteurs différents : pour ce qui est du réseau, il peut s’agir de la responsabilité du fournisseur d’accès à internet (FAI) ; pour ce qui est du logiciel du jeu, il pourrait s’agir de la responsabilité de l’éditeur et enfin pour ce qui est du matériel informatique il peut s’agir du joueur ou encore de l’équipe qui l’embauche voire, si le matériel est fourni par l’organisateur, ce dernier pourrait voir sa responsabilité engagée. Le fabricant des périphériques pourrait également être tenu pour responsable dans ce dernier cas. Ainsi, comme nous l’explique Maître Barruet, plusieurs fondements sont possibles juridiquement afin d’engager la responsabilité d’un tiers : inexécution de délivrance conforme, garantie des vices cachés ou encore inexécution d’une quelconque obligation contractuelle, bien évidement en tenant compte des clauses limitatives de responsabilité prévues dans les contrats ou encore de la force majeure.

Ainsi, la responsabilité d’un intermédiaire quelconque peut être difficile à engager. Malgré tout, en ce qui concerne les dysfonctionnements techniques, les fournisseurs d’accès à internet sont tenus à une obligation de résultat quant aux services fournis, selon l’article 15 de la LCEN (la loi pour la confiance dans l’économie numérique) de 2004, instaurant un régime de responsabilité de plein droit pour les FAI et selon un arrêt rappelant cet article rendu par la Cour de Cassation en 2009 : « les FAI sont tenus à une obligation de résultat qui induit l’engagement de leur responsabilité dès lors qu’ils ne remplissent pas leur obligation essentielle consistant à assurer effectivement l’accès au service promis ». Le fournisseur d’accès à internet, dans le cas de dysfonctionnements répétés et prolongés pourrait même être condamné pour faute lourde. En l’espèce donc, la responsabilité de l’opérateur Orange pourrait être recherchée.