L'évolution de l'encadrement des joueurs dans l'esport : de la grève à la prise en compte du bien-être
Que s’est-il passé pour que les joueurs de Counter-Strike : Global Offensive fassent grève avant un match important ? Il nous semblait important de faire le point sur cet épisode inédit qui a marqué la fin d'année 2020 et le début de l’année 2021. Retour sur les causes et conséquences de la grève des joueurs du FPS le plus suivi au monde !
Début décembre 2020, le quart de finale de la Blast Premier Fall entre Vitality et Mousesports a débuté avec deux heures de retard. Aucun problème technique à l’horizon mais la première grève de l’histoire du jeu a été la cause de ce retard. Pour rappel, la Blast Premier est une ligue professionnelle d’esport lancée en 2020, basée principalement dans deux régions : l’Amérique du Nord et l’Europe. 12 équipes constituent cette ligue.
Les joueurs de la BLAST ont décidé de faire grève à la suite de tensions entre les différentes parties prenantes à l’organisation du calendrier et des compétitions à savoir : entre les joueurs, les équipes et la Blast, organisatrice du tournoi. Tout a commencé lorsque, durant la saison régulière : les joueurs se sont aperçus que les organisateurs du tournoi avaient accès aux webcams des joueurs mais surtout à leur TeamSpeak (logiciel utilisé par les joueurs pour échanger avec leurs coéquipiers ou leur coach), en temps réel et lors de matchs officiels, pour ensuite pouvoir rediffuser certaines séquences clés. Les joueurs, ont alors fait appel à leur syndicat, le CSPPA (Counter-Strike Professional Players Association) qui a alors publié un communiqué invoquant les raisons du mécontentement des joueurs. Les joueurs refusent alors à BLAST l’accès à leurs échanges et aux enregistrements vidéo sans s’accorder sur la manière dont ces informations sont traitées. Selon ce même communiqué, aucun joueur ne sait qui a réellement accès à ces enregistrements et de quelle manière ils pourraient être utilisés et stockés. D’autant plus que certains de ces enregistrements ont été divulgués aux analystes et même diffusés sans l’autorisation des joueurs. Au-delà de cette question des données personnelles, la question de l’intégrité des compétitions est en cause car divulguer ce type de données, notamment les tactiques de jeu de certaines équipes, à certains moments clés de la partie pourrait potentiellement fausser les résultats. Ainsi, les joueurs demandent donc que l’intégrité du jeu soit garantie.
Ce communiqué du CSPPA interroge effectivement sur l’utilisation des données des joueurs, notamment leur image et leurs « données de jeu », entendons par là la manière de jouer et les tactiques des joueurs. En effet, certaines informations présentes dans ces enregistrements constituent des données personnelles, nécessitant ainsi l’accord des joueurs (soit les personnes concernées au sens de la réglementation sur les données personnelles) pour leur diffusion, ce que l’organisateur de la BLAST n’avait pas pris la peine de recueillir. Qu’est-ce qu’une donnée personnelle ? Au sens du RGPD (le Règlement Général sur la Protection des Données n°2016/679 du 27 avril 2016), une donnée personnelle est « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ». Ce point ne fait donc pas débat : les enregistrements comprenant des informations sur un joueur facilement identifiable constituent donc une donnée personnelle et nécessite une base légale claire pour être traitée. Par traitement, le RGPD énonce « toute opération ou tout ensemble d’opérations appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel ». Ainsi, la collecte, le stockage et la diffusion sont des traitements de données personnelles. Ces traitements n’ont pas obligatoirement besoin d’un consentement de la personne concernée pour être légaux. Cependant, en ce qui concerne le droit à l’image, la loi est claire : la personne qui capte l’image d’un joueur (par photo ou vidéo) doit obligatoirement obtenir l’accord écrit de ce dernier avant sa diffusion. Ce droit découle de l’article 9 du Code Civil relatif au droit au respect de la vie privée des personnes.
Mais alors qu’en est-il des données de jeu ? Peuvent-elles être considérées comme des données personnelles ? Doivent-elles être considérées comme des données non-personnelles mais confidentielles et dans ce cas être soumises à la Directive sur le Secret des Affaires ? Ces données permettent-elles d’identifier une personne ? Sont-elles pseudonymisées ou anonymisées ? Toutes ces questions détermineront si oui ou non, les données de jeu peuvent être ou non divulguées.
Dans tous les cas, cette grève initiée par les joueurs de CS:GO aura eu le mérite de lancer le débat sur les données collectées dans le cadre des compétitions, données précieuses pour bon nombre d’équipes et d’éditeurs.
L’intervention du CSPPA a toutefois été critiquée par certains clubs au lendemain de cette grève, levant ainsi une autre question : celle de l’utilité et de l’efficacité d’un tel syndicat au sein d’un secteur encore en construction.
L’esport se popularise, se professionnalise, se structure et avec cette évolution, de nombreuses problématiques émergent. Nous avons déjà évoqué le phénomène de burn-out dans l’esport. Nous avions d’ailleurs à cet égard interrogé plusieurs personnes sur le sujet, dans un article en deux parties, (ici pour la 1ère partie et ici pour la 2nde). Ces problématiques faisant grand bruit, de nombreuses équipes ont décidé de réagir, insistant sur le bien-être physique et mental des joueurs.
De plus en plus d’équipes se concentrent sur la santé de leurs joueurs et emploient à ce titre des spécialistes issus du milieu sportif. L’exemple le plus flagrant est Vitality qui, après Gauthier Klauss et Matthieu Péché, a recruté Bruno Martini désormais parti de la structure. Outre les sportifs qui sont employés pour aider au mieux les joueurs, de plus en plus de structures misent sur une organisation très stricte des entraînements, mêlant ainsi entraînement gaming, sportif et mental, mais aussi alimentation et nutrition adaptées car en effet, les équipes ont pu constater des troubles de la vision, des problèmes digestifs et de lourdes blessures dues à un entraînement trop intensif et peu adapté. Pour faire face à ces phénomènes, les structures commencent à employer des nutritionnistes dédiés, à travailler avec des ostéopathes ou des kinésithérapeutes spécialisés et même à embaucher des cuisiniers. Dans un article mensuel, nous interrogions à ce titre Jean-Bernard Fabre sur le sujet.
En effet, les pathologies sont nombreuses. Outre les troubles de la vision ou les troubles digestifs qui peuvent être dus à une alimentation peu adaptée, les esportifs professionnels peuvent être sujets à certaines pathologies spécifiques : tendinites du pouce, cervicalgies, syndrome du canal carpien et plus globalement saturation physique… Les équipes changent de plus en plus leur manière d’entraîner leurs poulains, de nombreux médecins et spécialistes évoquant le fait que l’entraînement intensif ne fonctionne pas.
Ainsi, de nouvelles méthodes naissent dans les équipes pour choyer les joueurs, aussi bien sur le plan physique que psychologique. Par exemple, on peut voir des dispositifs de préparation mentale basés sur le yoga et la psychanalyse, avec l’aide des neurosciences ; mais aussi des coachs mentaux et des psychologues intégrer les équipes. La psychologue Mia Stellberg, spécialiste de l’esport livre à ce titre plusieurs techniques pour améliorer le bien-être des joueurs. On peut trouver également des kinésithérapeutes et ostéopathes pour soigner les pathologies des joueurs, de nombreuses associations travaillent d’ailleurs avec des équipes, comme c’est le cas d’Ostéo Gaming.
Nous le voyons donc, l’esport se structure de plus en plus dans ses équipes, pour améliorer le bien-être des joueurs, éviter les cas de burn-outs et de blessures et consolider, de fait, la performance des joueurs. Outre un staff de plus en plus complet, les équipes souhaitent embaucher de plus en plus de joueurs remplaçants, afin de changer le roster en cas de fatigue d’un des joueurs. Cela a été le cas de Vitality ou encore d’Astralis, précurseurs dans ce domaine. Si cela pouvait effectivement être une bonne idée et se fait dans tout sport traditionnel, certains éditeurs y sont pourtant réticents. Pour autant, il est indéniable que la scène professionnelle esportive se structure, se consolide et les équipes jouent un grand rôle dans ces améliorations. Reste à savoir quelle direction prendre pour la suite, mais l’esport professionnel semble avancer dans la bonne voie dans l’encadrement (non-juridique) des joueurs.