Droit à l’image et droit d’auteur : actions légitimes ou simple opportunisme ?
Les actions portant sur le droit à l’image de personnalités ne datent pas d’hier.
Il y a à peine quelques semaines, Zlatan Ibrahimovic faisait à nouveau parler de lui : l’agent du joueur, connu pour rarement passer inaperçu, émettait l’idée d’une possible action en justice contre l’éditeur de FIFA, EA Sports (encore lui) pour utiliser son image sans avoir demandé l’autorisation de ce dernier. Une énième action en justice menée contre l’éditeur, déjà fragilisé par les différentes affaires en ce qui concerne notamment les loot boxes. Le footballeur n’a pas attendu pour rallier à sa cause plus de 300 joueurs désireux d’indemnités. Mais cette action est-elle légitime ou simplement opportuniste ?
Les actions portant sur le droit à l’image de personnalités ne datent pas d’hier. Historiquement, la plus célèbre reste certainement l’action de Lindsay Lohan contre l'éditeur du jeu GTA V, Take-Two Interactive, propriétaire de Rockstar. La célébrité se plaignait de voir un personnage lui ressemblant fortement mener une vie sulfureuse dans le jeu. Pour autant, la Cour d’Appel de New-York l’a déboutée de sa demande, jugeant qu’il n’y avait pas assez de ressemblance.
Bref rappel : pour respecter le droit à la vie privée de la personne énoncé par l’Article 9 du Code Civil, toute utilisation de l’image d’une personne doit obtenir l’accord écrit de cette dernière avant sa diffusion. En théorie, un simple consentement ne suffit pas, il faut déterminer sur quel support et pour quelle durée l'image peut être utilisée. S'il n'y a pas cet accord écrit, utiliser l’image d’une personne est considéré comme une atteinte à la vie privée de cette dernière. Pour en revenir à l’affaire FIFA, chaque footballeur devrait, en théorie, donner son accord écrit. Mais en pratique, tout n’est pas aussi évident : EA Sports a en effet conclu des accords avec la Fédération internationale de football (FIFA) et la FIFPRO qui représente les joueurs de football dans le monde entier, permettant ainsi à l’éditeur d’utiliser l’image de tous les joueurs. Mais est-ce réellement possible juridiquement ? Si effectivement un accord a été passé, l’autorisation des joueurs a-t-elle été demandée au préalable ? Il faudra donc se fier aux contrats de joueurs avec ces organisations ici. Toutefois, si l’on se place hors du cadre juridique, il semblerait que cette action soit plus une question d’opportunisme de la part des joueurs professionnels pour monétiser leur image au regard de l’actualité récente de David Beckham, devenu ambassadeur FIFA pour plusieurs années avec un enjeu monétaire certainement conséquent. D’autant plus que tous les joueurs expliquent en interview que c’est une concrétisation de se retrouver dans un tel jeu vidéo.
Cependant, si les affaires concernant l’atteinte au droit à l’image des joueurs sont souvent des questions d’opportunisme, d’autres affaires remuent les jeux vidéo sur le même principe : l'atteinte au droit d'auteur d'une œuvre reproduite dans un jeu vidéo. L’exemple le plus récent est sans doute le Chrysler Building qui n’apparaît pas dans le dernier opus de Spider-Man : Miles Morales pour des questions de copyright. Mais d’autres exemples ont été jusque devant les tribunaux, notamment en ce qui concerne les tatouages de sportifs reproduits dans les jeux. Une occasion de revenir sur les droits d’auteur dans le jeu vidéo. Tout d’abord au sens du Code de la Propriété Intellectuelle, le jeu vidéo est une œuvre complexe pouvant être protégée au titre du droit d'auteur si cette dernière est originale. Chaque élément (musique, logiciel, audiovisuel, gameplay etc.) est ainsi protégé selon son régime en appliquant une qualification distributive. Le titulaire des droits est alors l’éditeur, le jeu vidéo étant défini le plus souvent comme une œuvre collective (Art. L. 113-2 CPI).
Mais quid des œuvres déjà existantes reproduites dans le jeu lui-même ?
En théorie, toute incorporation d’une œuvre préexistante dans une œuvre nouvelle doit recevoir l’accord préalable de l’auteur de l’œuvre (c’est le régime de l’œuvre dérivée). C’est pour cela que le Chrysler Building n’apparaît pas dans le nouveau Spider-Man. Mais quid dans ce cas des tatouages ? Sont-ils considérés comme des œuvres au sens du droit d’auteur ? En effet de nombreuses affaires sont portées devant les tribunaux : c’est le cas de 2K Games pour le jeu NBA 2K et WWE et les tatouages des basketteurs et catcheurs, entre autres. Les tatoueurs réclament en effet des indemnités aux éditeurs de jeux vidéo reproduisant les tatouages des sportifs dans le jeu. Et effectivement, ces derniers pourraient bien être dans leur bon droit ! En droit français, peu importe le support, tant qu’une œuvre est mise en forme et originale, l’auteur dispose de droits sur l’oeuvre qu’il a créée. En droit américain, il est dit que “toutes les illustrations créatives fixées sur un support tangible sont protégées par un droit de reproduction”. Pour le citoyen lambda ou les célébrités en Une de magazines, il est question d’une licence d’utilisation implicite disons, pour éviter les litiges.
En revanche, lorsque le tatouage est reproduit dans un univers virtuel comme le jeu vidéo, il y a un acte de reproduction volontaire de la part des développeurs, ce qui peut tout à fait changer la donne... Et coûter très cher à l'éditeur ! Cependant, à chaque principe son lot d’exceptions : si l’éditeur prouve que la reproduction du tatouage est accessoire (qui se fond dans une masse de joueurs non-tatoués par exemple) ou si le tatouage n’est pas représenté avec assez de détails, l’éditeur peut échapper à une condamnation pour atteinte au droit d’auteur : c’est la décision qui a été prise par les tribunaux dans l’affaire NBA 2K au sujet des tatouages de Lebron James, notamment.
La question s’est également posée concernant les cosplays : les auteurs de ces créations peuvent-ils bénéficier de droits d’auteur ? L’affaire la plus parlante est celle opposant le jeu RAID : Shadow Legends à la cosplayeuse Miss Sinister, auteur de plusieurs cosplays originaux. Même rengaine que ce que nous venons d'expliquer au-dessus : si le cosplay est mis en forme et original (c'est-à-dire qui reflète ce qu’on appelle la personnalité de l’auteur), alors oui, le cosplayeur pourrait revendiquer ses droits. En revanche attention : pour les cosplayeurs reproduisant à l’identique des personnages de jeux vidéo, rien n’empêcherait les éditeurs d'intenter des actions en contrefaçon contre ces derniers, l’œuvre préexistante étant le personnage de jeu vidéo, détenu par les éditeurs donc !