Le CIO et les sports virtuels : entre opportunités pour l'esport et désillusions

Une nouvelle passerelle a été créée par le Comité International Olympique entre sport et jeux vidéo durant l’année 2021. Pour la première fois de son histoire, un événement de sport électronique a eu lieu sous la houlette du CIO en amont des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo : les Olympic Virtual Series ! Pour ce faire, le CIO a conclu un partenariat avec DreamHack Sports Games, une entité appartenant au célèbre organisateur de compétitions d’esport suédois et qui promettait une rencontre entre sport et esport.

Le terme de sport électronique est plutôt bien pensé ici. En effet, même si le terme sport électronique est la traduction française d’esport, il existe cependant une nuance importante. Ce qu’entend le CIO par « sport électronique », c’est tout jeu se rapportant à un sport traditionnel impliquant un engagement physique d’une personne grâce à des nouvelles technologies comme la réalité augmentée ou la réalité virtuelle par exemple. Nous pourrions même parler de sport connecté plutôt que de sport électronique. Or, l’esport se définit comme une « compétition de jeux vidéo » de manière large dans lequel les jeux qui font la célébrité du secteur ne sont pas du tout des jeux de simulation sportive, mais bel et bien des jeux entièrement plongés dans l’univers virtuel comme par exemple League of Legends ou Counter-Strike : Global-Offensive.

C’est précisément le souhait du CIO de ne pas inclure de tels jeux puisque ce dernier a évincé tout jeu n’ayant pas de rapport avec le sport traditionnel et n’ayant même aucun « engagement physique » (selon sa propre définition), en parlant uniquement de « sport virtuel » ou de « sport électronique » et laissant une certaine confusion dans la définition de l’événement. En effet, 5 jeux ont fait partie de la compétition, à savoir Zwift (cyclisme), Virtual Regatta (voile), eBaseball 2020 (baseball), Gran Turismo (course automobile) et un simulateur d’aviron. Nous sommes alors bien loin de l’esport traditionnel ici mais pour autant, Thomas Bach s’est réjoui « d’encourager la participation sportive et de promouvoir les valeurs olympiques » tout en attirant, selon lui, un public plus jeune. C’est là l’écueil du CIO puisqu’il y a fort à parier que le public ne sera pas forcément plus jeune et pas forcément nouveau par rapport au public traditionnel olympique, les jeux engagés n’étant pas des jeux esportifs à proprement parler. La création d’un tel événement a essuyé certaines critiques de la part de la communauté esportive et des acteurs endémiques au secteur, plutôt à juste titre.

Pour autant, ces OVS sont un premier pas dans l’entrée des mondes virtuels au sein des Jeux Olympiques et Paralympiques, ce qui est à souligner. Ces derniers peuvent notamment être un premier pas pour ensuite inclure, pourquoi pas, des jeux de simulation sportive tels que les licences FIFA ou NBA 2K qui ont une communauté esportive certes plus faibles que les autres jeux phares de la scène mais qui sont pour autant eux, bien considérés comme des jeux esportifs. D’autant plus que de nombreux partenaires du CIO sont déjà impliqués, de différentes manières, dans l’esport, notamment Intel, Atos, Alibaba ou encore Coca-Cola. Les efforts sont alors nombreux en la matière, mais tout n’est pas perdu ! Rappelons d’ailleurs à ce titre qu’un groupe de liaison avait été constitué à l’initiative du CIO en 2018.

Également, alors qu’aucune communication n’était faite au sujet des Intel World Open organisés par Intel en marge des Jeux Olympiques et Paralympiques sur les jeux Rocket League et Street Fighter V, ces derniers se sont malgré tout maintenus ! Ces tournois par nation ont été réalisés en marge des Jeux Olympiques et Paralympiques certes, mais ont une réelle identité esportive à souligner et mettre en avant puisque les jeux présents ne sont autres que Street Fighter V, jeu de Versus Fighting sur lequel des compétitions ont lieu dans le monde entier et Rocket League, jeu « Tier 2 » selon le dernier classement de The Esports Observer en termes d’audiences et de joueurs et aux communautés très engagées.

Les avis évoluent de plus en plus sur le sujet en voyant l’engagement de la communauté esportive et grâce à un travail de démocratisation de la part des acteurs du secteur. Durant cette année d’ailleurs, nous avons appris que la chaîne NBC avait conclu un partenariat avec Twitch pour les Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Il est donc nécessaire de poursuivre ce travail pour les prochains Jeux Olympiques et Paralympiques qui se tiendront à Paris en 2024, pour aller plus loin dans l’inclusion de l’esport « traditionnel » en marge des célébrations de Paris 2024, permettant d’allier les Olympic Virtual Series et des événements organisés autour de jeux esportifs engageant fortement les communautés du secteur sur différents jeux dans un esprit de fête et de célébration convivial et ouvert à tous.

 

Revenons aux prémices des championnats du monde d’esport, pour mieux comprendre les avancées et la vision des Intel World Open. Créés en Corée du Sud en 2000, les World Cyber Games ont été l’un des événements de sport électronique les plus importants du début de ce XXIème siècle. Cette compétition, qui s’inspirait grandement des Jeux Olympiques puisqu’elle rassemblait dans un village aménagé les compétiteurs de différentes nationalités regroupés en équipe nationales, tout en changeant de ville hôte à chaque édition (nota bene : Intel était d’ailleurs l’un des premiers sponsors et est aujourd’hui l’organisateur du tournoi coorganisé avec le CIO). De nombreux autres sponsors étaient présents, et notamment certains éditeurs de jeux vidéo, ce qui facilitait grandement la tâche des organisateurs du point de vue de la propriété intellectuelle. En 2013 cependant, les WCG s’arrêtent alors que 7 jeux étaient en lice : CrossFire, FIFA 14, League of Legends, StarCraft II, Super Street Fighter IV, Warcraft III et World of Tanks. Ces « Jeux Olympiques du sport électronique » ont donc certainement fortement inspiré Intel, qui proposait en parallèle des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 une compétition officielle, coorganisée avec le CIO, sur deux jeux de la scène esportive : Street Fighter V et Rocket League, des jeux faciles à comprendre et à la culture nipponne forte, au moins pour la première licence citée.

Ces Intel World Open ont été le seul tournoi d’esport à proprement parler en parallèle des Jeux Olympiques mais un autre tournoi tout aussi innovant a été également mis à l’honneur peu avant le début officiel des Jeux Olympiques : les Olympic Virtual Series (OVS), compétition sur des logiciels de sport connecté : cyclisme, voile, baseball, course automobile et aviron. Les OVS n’ont cependant pas brillé niveau visibilité : la communication autour de l’événement était inexistante et le nombre de viewers éminemment bas. Alors que l’échec est incontestable pour les OVS du point de vue des audiences (lors d’un sondage aux Etats-Unis sorti en avril 2021, seulement 19% des personnes interrogées semblaient être intéressées par l’événement), le manque de communication en amont pour les Intel World Open a été une problématique importante également, engendrant des audiences très basses comparé à ce qui était attendu. En effet, la finale européenne de Rocket League a rassemblé jusqu’à 12 900 spectateurs, ce qui est bien peu lorsque l’on sait que les RLCS Europe enregistraient un peak viewer de plus de 178 000 spectateurs. Les Intel World Open ont donc manqué cruellement de visibilité, notamment à cause d’une communication quasi-inexistante et un manque de soutien du Comité Olympique et des éditeurs qui sont restés dans l’ombre de cet événement. Outre les problématiques en matière de communication, les joueurs ont fait face à quelques soucis techniques et notamment à un temps de latence important malgré les efforts réalisés et les précautions prises (les compétitions ont été organisées par région, pour éviter au maximum les bugs et temps de latence trop longs).

Cet événement, qui aurait pu permettre de projeter l’esport dans une autre dimension pour Paris 2024 n’a donc pas fait ses preuves et il est nécessaire d’appuyer les efforts en ce sens afin que les Intel World Open reviennent pour une nouvelle édition, plus puissante encore, lors des prochains Jeux Olympiques et Paralympiques.

Toutefois, certains points positifs sont malgré tout à retenir. Tout d’abord, nos français ont réalisé de très bons résultats, et il est important de le souligner. En effet, le joueur de Street Fighter Mister Crimson a terminé 4ème de ses finales et la délégation française de Rocket League formée par le trio de Vitality a remporté la finale EMEA du tournoi. La France se classe donc très bien sur les deux jeux pour un premier tournoi « olympique ». Autre point positif, c’est bien évidemment la démarche du CIO concernant l’inclusion de telles compétitions, certes pas au sein des Jeux Olympiques mais en parallèle. En effet, même si la communication n’a pas été franche sur le sujet, c’est une première belle évolution à souligner, en espérant que cette dernière perdure pour les Jeux à venir.

Pour qu’un tel événement subsiste, il est donc primordial de démocratiser la pratique, d’accentuer la communication autour de cet événement, quitte à ce que ce dernier soit diffusé dans certaines fan-zones dédiées par exemple, tout en impliquant des jeux à la visibilité plus élevée. En effet, même s’il est indéniable que la scène esport de Street Fighter est développée, le nombre de spectateurs est inférieur aux jeux dits « Tier 1 » comme League of Legends par exemple. MGG s’est d’ailleurs amusé à imaginer le podium olympique sur la célèbre licence de Riot Games. Ainsi, il est important de réfléchir à une stratégie solide concernant les jeux à impliquer lors des prochains Intel World Open, tout comme à une stratégie de communication large et efficace. Plus il y aura de jeux avec une base de fans importante, plus il sera aisé que le projet soit visible et que de nombreuses personnalités s’impliquent dans la compétition, en dépit de certaines réticences de la part du secteur. Les Intel World Open sont, de prime abord, un rendez-vous manqué avec la scène esportive, mais une première marche a été franchie concernant les liens entre esport et Jeux Olympiques et Paralympiques. Les perspectives peuvent être de bon augure, en espérant que le CIO d’un côté et le secteur esportif de l’autre avancent conjointement en faveur d’un tel développement.