Les droits de propriété intellectuelle dans le streaming et l’esport : un enjeu juridique mais surtout économique
Les droits de propriété intellectuelle sont la pierre angulaire de l’esport. Détenus par les éditeurs de jeux, les jeux vidéo ne peuvent théoriquement être utilisés qu’avec l’accord de ces derniers pour l’organisation d’une compétition de jeux vidéo. Fort heureusement pour le développement de la pratique, bon nombre d’éditeurs mettent à disposition des « licences communautaires » avec certains critères, afin que n’importe quel organisateur de compétition puisse, sous réserve du respect de certaines conditions, utiliser librement un jeu pour sa compétition. Ces conditions sont plus ou moins strictes : montant maximum de cashprize, utilisation selon certaines conditions de la marque, appellation spécifique de la compétition etc… Un guide de l’organisateur a d’ailleurs été mis par France Esports à la disposition de tous.
Cependant, ce n’est théoriquement pas le seul moment où l’éditeur doit donner son accord quant à l’utilisation du jeu. En effet, pour la diffusion d’une compétition en ligne, ce dernier doit également accepter. Si les organisateurs de compétitions qui demandent des licences spécifiques sont globalement en règle avec cela, un autre pan non-négligeable et éminemment lié à l’esport échappe à cette réglementation : le streaming de joueurs. Lorsque KennyS streame sur la licence Counter-Strike : Global Offensive chez lui par exemple, il devrait théoriquement demander l’autorisation à Valve, l’éditeur du jeu en vertu de l’article L. 122-2 du CPI, étant dans le jargon juridique une « communication de l’œuvre à un public ». Dans certains cas n’engendrant aucune monétisation, cela ne pose pas de problème. Mais lorsque la personne engendre un certain bénéfice de son activité, la question est légitime. En réalité, il apparaît que les éditeurs de jeux vidéo font preuve d’une certaine souplesse, la visibilité lorsque de tels joueurs professionnels streament étant importante et donc bénéfique pour eux. La question est alors de savoir jusqu’à quand cette tolérance sera en vigueur car du jour au lendemain, un éditeur peut exiger le retrait ou le paiement de certaines royalties comme ce fut le cas pour certains éditeurs à une époque.
En ce qui concerne le paiement de droits ou de royalties sur le streaming de compétitions esportives donc, la question se pose. Eventuellement, certains acteurs souhaitent rapprocher le régime de l’esport du régime des organisateurs de manifestations sportives de l’article L. 333-1 du Code du Sport. Cela permettrait effectivement d’équilibrer les revenus, les éditeurs disposant de leurs droits de propriété intellectuelle et les organisateurs d’événements disposant des droits de captation et d’une partie des droits de diffusion. Le problème que pose ce rattachement, c’est que dans un premier temps, l’esport n’est pas considéré juridiquement comme un sport à l’heure actuelle et n’est donc pas organisé comme tel. En effet, l’article L. 333-1 du Code du sport donne le monopole d’exploitation des événements sportifs aux fédérations, par principe. Or, l’esport n’est constitué d’aucune fédération officielle professionnelle, ce qui rend impossible l’application d’un tel article.
Ainsi, l’esport oscille entre régime du sport car de nombreux fonctionnements sont très similaires et droit de l’audiovisuel, l’esport étant éminemment digital et visuel. Partant de ce postulat, beaucoup de professionnels du secteur et de professionnels du droit souhaitent voir un régime hybride créé spécifiquement pour l’esport. Cependant, la création d’un nouveau régime interroge sur la complexité juridique que cela engendrerait. La question est alors de savoir si l’esport, événement sportif mais aussi culturel et créatif, ne pourrait pas être rattaché en certains points au régime du spectacle vivant et ainsi faire bénéficier ses organisateurs d’autres droits. L’avenir du droit de l’esport se joue-t-il obligatoirement dans son rattachement au droit du sport traditionnel ? Rien n’est moins sûr.